Exposition "paysage de l'excellence"


 

FICTIONS

L’ARCHITECTURE DE FRÉDÉRIC BOREL

Ici, les bâtiments se fragmentent autour d’une faille ou d’un canyon. Là, ils se soulèvent de la terre, maintenus par des échasses ou des tréteaux. Partout ils cherchent à s’émanciper de leur contexte, à s’extraire de la falaise urbaine ou à se libérer du sol pour apparaitre sur deux ou trois faces, non comme de simples façades plates mais comme des volumes rayonnant dans les trois dimensions de l’espace.

Frédéric Borel a commencé à construire à la fin des années quatre-vingt, quand la tendance générale était dominée par la nostalgie d’un retour à la ville. Quand les enseignants et les critiques prônaient une requalification des espaces urbains malmenés par les constructions modernes. Ces dernières se fondant exclusivement sur la volonté d’apporter à chacun du confort, de la lumière et des vues, sans se soucier des fonctions de socialisation et d’intégration portées par les rues et les places de la ville traditionnelle.

Après des études à l’École Spéciale d’Architecture, où il pourra suivre l’enseignement de Christian de Portzamparc et faire un court passage dans son agence, le jeune homme sera rapidement remarqué par les dispositifs institutionnels mis en place pour repérer les nouveaux talents. D‘abord lauréat du Programme Architecture Nouvelle (PAN) en 1984 , pour un projet à Romainville au titre très évocateur « Le déplacement comme élément constitutif de l’espace », il obtiendra, l’année suivante, la bourse de la « Villa Médicis Hors-les-Murs » qui lui permettra de faire un stage à Chicago chez Harry Weese, l’auteur de l’atypique gratte-ciel prison qui inscrit sa silhouette massive dans le skyline de la métropole illinoise. Puis viendront les Albums de la Jeune Architecture qui diffuseront largement son travail auprès des maîtres d’ouvrage. Et la rencontre avec Michel Lombardini, alors président de la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), qui lui commandera sa première œuvre, un immeuble de logements sur le boulevard de Belleville.

Coup d’essai, coup de maître : ce premier bâtiment parvient à cristalliser les principes théoriques à la base de cette démarche naissante. En effet, l’édifice répond à la ville comme aux corps en mouvement qui l’arpentent et pose la question d’un retour au monumental, tout en restant parfaitement réalisé dans ses moindres détails.

D’HIER À AUJOURD’HUI

Cette première œuvre est remarquable en ce qu’elle ne disparait pas dans l’alignement du boulevard mais vient, au contraire, se dresser perpendiculairement à lui. Une volte-face qui implique le retournement de l’orientation des appartements vers une cour ouverte et libère les pignons donnant sur la voie. Ceux-ci peuvent ainsi rester presque aveugles pour être plus librement creusés et sculptés afin de former des propylées qui rappellent les porches des premiers ensembles de logements sociaux parisiens.  Les deux ailes qui se font face ne sont pas identiques : l’une est couronnée par une toiture en forme de vague tandis que l’autre se fragmente en une succession de plots autonomes. Entre elles, le vide central monte en légère pente tout en s’amincissant pour renforcer sa profondeur, à la manière des scénographies italiennes de la Renaissance comme celle de Scamozzi pour le théâtre de Palladio à Vicence. C’est là que s’établissent les accès aux logements comme aux commerces spécialisés qui peuvent se développer en marge du boulevard. Une tourelle métallique, posée sur des pilotis et arrimée à la vague de logements par des passerelles, complète cet agencement. Elle vient flotter à l’embouchure de la cour pour mieux en filtrer l’entrée et en préserver l’ambiance.

Offrir des vides accessibles à tout le monde et augmenter le répertoire des espaces urbains, revenir sur la question de l’entrée, du seuil, élever des volumes qui se dévoilent au fur et à mesure d’un parcours dans l’espace et s’interroger sur le pouvoir des formes architecturales, sur leur capacité à se constituer comme de véritables récits que chacun peut déchiffrer et s’approprier à sa guise… Un dispositif qui se systématise et se retrouvera sous des formes sensiblement différentes dans les projets qui suivront.

Ainsi, rue Oberkampf, l’immeuble de logement se soulève au-dessus d’une nouvelle poste et de son parvis pour que les usagers puissent contempler un paysage hallucinant rappelant les compositions de Jérôme Bosch. Une vallée paradisiaque ouverte sur d’énigmatiques volumes opaques et habités qui viennent invisiblement prendre leur lumière et leur vue du côté arrière. Avenue Raymond Pointcarré, la haute façade rythmée de bow-windows étrangement étirées est fracturée pour laisser entrevoir la silhouette d’une mystérieuse tour ronde devant les grands arbres préservés d’un ancien couvent. Dans le quartier Masséna en bordure de l’université Paris-Diderot, un bloc plat et lisse, les bras dressés vers le ciel,  s’articule à un autre plus bas et hérissé de fenêtres sortantes, pour mieux introduire au parcours d’entrée vers les logements. Ou encore, sur les hauts de Rouen, cette fois hors la ville, une façade ruban se creuse pour créer un vide protégé afin d’apporter un peu de continuité, là où tout est discontinu, et d’offrir un espace partagé, là où rien ne semble appartenir à personne.

Puis est venu le moment des équipements où ce principe organisationnel va trouver sa pleine raison d’être. Le palais de justice de Narbonne se compose de deux lames qui coulissent autour de trois séquences : le parvis, l’accueil et la salle des pas perdus desservant d’un côté le volume sombre des audiences pénales ; de l’autre, celui doré des audiences civiles, pour s’achever sur une vaste baie découvrant un jardin en contrebas. Un parcours similaire s’immisce dans l’école d’architecture de Paris-Val de Seine entre l’ancienne halle industrielle réhabilitée, dont la voûte à caissons de bois abrite désormais la bibliothèque, et le nouvel immeuble, un plateau sur lequel sont posés les salles de cours et les ateliers et sous lequel s’accrochent les amphithéâtres.  Un cheminement initiatique décomposé à nouveau en trois temps : la cour protégée et verticale qui s’élève le long de la haute cheminée préservée, le sas où l’espace se compresse, le grand hall éclairé par des sheds qui affirment son horizontalité. Cette succession de seuils mène des quais vers les espaces d’études et semble remodeler les corps pour donner un statut à l’enseignant comme à l’étudiant qui travaillent dans l’établissement. Une constante qui se retrouve aussi bien dans le palais de justice qui rend aux justiciables comme aux magistrats leur dimension d’individus souverains, maitres de leurs destins, que dans les logements parfois très sociaux qui accordent à leurs locataires la considération que l‘on doit aux clients d’un hôtel de luxe ou plus prosaïquement aux citoyens de l’une des plus belle ville du monde.

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